Mohamed Benslimane el Fassi, un maître du malhoun

Publié le par Le Malouf ou l'Andalousie retrouvée

 

Une des contraintes des grands poètes du Malhoun c'est qu'il doit idéalement  assurer l'équilibre entre les thèmes populaires et les registres savants ; d'abord en puisant dans les legs de la mémoire collective, ensuite en acceptant la complexité poétique et en utilisant tous les éléments d'une rhétorique et d'un imaginaire séculaire. Le Professeur Mohamed El Fassi enseignait au Maroc que le Malhoun est une poésie destinée à être chantée et donc à être habillé en musique, c'est une mise immédiate en mélodie. Le Malhoun apparait comme une variante, une inflexion des règles classiques et un jeu délibéré des poètes. D'ailleurs certains poètes du genre écrivent dans les deux registres de la poésie classique et du Malhoun. Nous pouvons citer à titre d'exemple des artistes de la trempe de Mohamed Benslimane el Fassi et Sidi Thami Lamdaghri (connu pour avoir écrit et composé Al-Gnawi et Aliq Al-Masrūh), le Sultan Moulay Hafid, Sidi Kaddour El Alami, Jilali Mtired et bien d'autres. La créativité est, en effet, considérée comme une inspiration, une révélation. Mohamed Ben Ali Bou’mar disait en 1519 : « Notre Malhoun est une lampe éclairant le noir et ne manque à aucune demeure ».

Mohamed Benslimane el Fassi est un auteur majeur du malhoun. Natif de Fès, il y vécut de la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle. Mort prématurément à l’âge de 33 ans, il laisse en legs près de 90 textes parmi lesquels on retrouve Khedidja goumri et lebroudj , AâtouchErraâd (Ya sah’ zarni mahboubi ames kount sayem), Saki Bakiezzine el FassiMersoul FatmaYa taleb...

 

El Ghorri est une pièce musicale qui fait partie des ouisayate ou mechahate (textes satiriques) qui abordent des sujets sociaux et pour ce qui nous intéresse dans ce blog, il décrit  l’amitié. Mohamed Benslimane, poète bouillonnant et rebelle, a écrit sur les cercles des poètes du melhoun qu’il côtoyait et à qui il imposa crainte et respect. Sensible, comme ses compagnons, il s’est montré parfois excessif aussi bien dans la description de la beauté que dans les textes traitant des rapports humains. Il fut l’élève de Benali Cherif avec lequel il se brouilla pour passer sous la protection de cheikh Mohammed Ennedjar. L'élève et le maître se sont donnés la réplique à travers de nombreuses poésies. D’ailleurs il est dit que des textes comme El bazet Maddoum el hokma de Cherif Benali viseraient particulièrement son disciple Benslimane.

El Ghorri est un leurré, un déçu des échos qu’il a eus avec des amis qu'il croyait sincères. Dans ce texte Mohamed Benslimane nous dévoile la fausseté, la trahison et déverse toute sa bile en nous mettant en garde contre certains comportements. En Algérie, El Ghorri est interprétée sous le mode "bitou essaiah" (c'est à dire en deux mouvements alternés rapide et lent).

Ô beautés de Fez

"Zine El Fassi" raconte une histoire cocasse qui s'est déroulé au Palais Royal en présence du sultan qui avait démandé aux poètes de préparer des qasida mais lorsque les autres poètes ont préparé sur scène leurs qasida c'était Mohamed Benslimane qui était le plus petit, les autres poètes concurrents se sont moqués de lui mais lorsqu'il exécute son texte, le sultan fut surpris et très fier de sa prestation. Ce texte évoquait la beauté de toutes choses dans la plus belle ville du Maghreb : Fès..."Zine El Fassi" est interprétée au Maroc par  mon ami et  chanteur qui préside  l'Association Mohamed el Fassi tarab el malhoun : Monsieur Abdelali Talbi.
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Mario Scolas et Abdelali Talbi

Fouad Guessous
 a traduit cette qasida zin el fassi de l'arabe vers la langue française. Ce texte a été emprunté par  Cheikh El Hadj M'hamed El Anka

Istikhbar :

  • Ô échanson, le soleil du soir s'est incliné vers son couchant son aspect a changé, le crépuscule lui a imprimé sa couleur d'or
  • Avec ses atours, il s'est posé avant de s'éclipser semblable à brocart d'or lumineux
  • Il a décoché ses flèches transperçant l'horizon.
  • Puis, il a regagné sa demeure et il disparut.
  • Alors, les Amants en furent comblés

bayt :

  • la nuit, le sommeil m'a fui
  • A cause de l'indifférence de celle que j'aime, Cet être qui habite mon coeur me rejette.
  • Ô amis, que dois-je donc faire ?
  • La passion sur mes épaules est un lourd fardeau qui m'est insupportable.
  • Aucun remède pour soulager mon mal ni de médecin, habile comme vous le dites, pour répondre à mon attente.
  • Pourquoi cela mon Dieu, pourquoi ?
  • Quand donc grâce à l'affection, mes os brisés par la séparation seront-ils rétablis ?
  • Elle remplissait ma coupe
  • La splendeur était là, au milieu de la chandelle, des friandises et de l'extase du vin
  • Le cheval, les gazelles, les amis et les livres réjouissent la vie, et qui ne les aime pas est méprisable; il n'a rien vu ni retenu : il doit avouer son inexpérience.

refrain -bayt :

  • L'amour et la passion m'ont interpellé : ils m'ont ravi la raison et j'en devins esclave.
  • Hélas ! l'amoureux ne connaîtra la quiétude jusqu'à sa mise en bière.

refrain -bayt

  • Ô Dieu, le bien heureux, épargne-moi, Toi qui as guéri Job et sauvé le vénérable Jacob.
  • Pardonne-moi mes péchés, ô Dieu à la grâce pérenne.

refrain -bayt :

  • Mes propos sont sensés, réfléchis et reconnus par les cheikhs; je suis leur humble serviteur leur obéissant à la lettre, et suivant le droit chemin.

refrain -bayt :

  • Dites à l'ignorant de demander pardon (à Dieu) et de quitter la mer des vanisés.
  • Que Dieu me préserve des menteurs.
  • Je suis toujours maître de moi et je demeure sans faiblesse dans le droit chemin.


قصيدة "الزين الفاسي": نظم محمد بن سليمان

 

*الحربـــة*

ياهل الزّين الفاسـي   تصافو مجمعكم وبايعو لسلطان المشـــور

Oyez bonnes gens épris de beauté fassie!

Serrez vos rangs et faites acte d’allégeance

 à  la sultane du méchouar, ma romance

"القسم الأول"

تاه فالدّاج نعـاسـي   من صدود اليَّ يهوا ساكني على ڭربي ينفـر

كيف نعمل ينـاسـي   الهوا رشاني حملو تقيل شلاّ ما نصبــــر

لادوا ينفع بـاســي   لا طبيب نقولو هذا حكيم بالقصد يخبّـــر

لاش يا غربت راسي   إمتا عظمي من هرس الفراق بالعطف ينجبـر

عاد يسقيني كـاسي   مالكي بين الشمعا والقطيع ومطارب الخمــر

Elle habite mon cœur le pourfend et le scie.

L’insomnie de mes nuits m’oppresse et me nuit,

L’amour me brise me ronge et me détruit.

Que faire mes amis? Dois-je rester ainsi!

La passion m’écrase et son poids est si lourd!

J’ai beau patienter, je ne vois aucun recours!

Il n’y a point de remède qui me gracie,

Ni guérisseur qui rende juste sentence,

Abrége mon éternelle infinie souffrance.

Pourquoi diable ma tourmente me glacie ?

Pourtant, que d’êtres séparés se ressoudent

Aux retrouvailles, les sentiments les ressoudent!

Que mon verre m’abreuve avec minutie!

Que ma sultane prépare pour la nuit

 Coupes, carafes de vin, et plateau de fruits!

"القسم الثاني"

بالمحاسن تونــاسي   كان غاب على عيني من هويت في قلبي يحضر

في عضايا وسـواسي   يلا يغيب عليّا ساعا نقول هذا غير نفـــــر

وجبولين رمـــاسي   هاكذاك المزيان يلا يجور يقتل ما يختـــــر

ولا يبرد مڭبــــــــاسي   غير الرّيق اللّمات يلا تقبلو من ثغر لتغــــر

ويا ورد سڭلمــــــاسي   في رياض الحسن يلا جنيت العرابي لنصـــر

 

En sa présence les splendeurs j’apprécie

Et si elle me manquait par inadvertance,

En mon cœur se dessine sa présence!

Je suis seul responsable de mes péripéties!

Qu’elle me manque une seule heure,

Me voici saisi de sombres idées de peur

Que son regard doux exquis m’émacie

Comme un illustre roi qui foudroie sa proie !

Que puis-je faire, je n’ai guère de choix.

Ne dissipent mes appréhensions mes soucis,

Que les baisers sur ses lèvres pétulantes

Que le vin drape de son haleine qui me hante.

Tel le parfum des fleurs sijilmassi

Que je cueille dans les jardins du prince,

Faisant fuir mes peines et les évince.

 "القسم الثالث"

يالي قلبوا قـــاسـي   لا تلوم العاشق في حالت الهوا سلّم وعضــر  

ساط ريحو فغــراسي   نضمر بستاني وتحايطمو غصانو بعد زهـــر

يا ترا حزني نــاسي   السرور يدک معاي المڭام والشريند مــــر

بعد هولي وهــواسي   نلت قصدي وكمل غردي معاه والكف ينتڭــــر

يلا حضرضي غلاسي   بيه ننكد حسّادي والغزال بوصالو نضفـــر

Oui ton cœur me tourmente et me supplicie!

Ne jette pas ton amant dans les méandres

Des labyrinthes de l’amour et ses cendres.

Dans mon jardin l’orage n’a point d’éclaircie,

Il souffle vents et tempêtes qui déclenchent

L’avalanche et brise ses fleurs et ses branches.

Ah! Si ma sultane me revenait! Ah Si…

Bonheur et joie sous mon chapiteau s’installent,

Les tourments et l’ennui alors détallent.

Adieu détresse qui oppresse et officie!

Je passerai la nuit dans les bras de celle

Que j’aime goûtant son retour avec zèle.

En la présence de ma reine, Dieu merci,

Que de bonheur et plaisir n’ai je saisi,

Le supplice sombrant dans la paralysie.

"القسم الرابع"

نرسلك يا رقّـــاسي   يلا وصلت المحبوب إليَّ هويت عوّّدلو الخبـر

فالذهب درت نحـاسي   مالكي ما حافني زار مرسمي من بعد هجــر

فرحنا بيه مـــواسي   في رياض على ميزان الطيار والغاني يهضـر

العود والطر خمـاسـي   والرباب على الفايت فالزمان يبكي ويفكـــر

بيه واقد نبــــراسي   على الزهو والسّلوان على الدوام عمر وما يفتر

Va! Messager, et rapporte lui mon récit,

Va! Va au-devant d’elle et raconte lui

Tout ce que j’endure, tout ce qui me poursuit.

Je me suis épris comme par prophétie,

Mais mon espoir n’allait point être déçu :

Elle me revint et je n’étais plus sans issue.

Liesse, bonheur et joie.. Do, re, mi, fa, sol, la, si…

Les rossignols chantent la sérénade,

Les bienfaits du seigneur font la parade.

Le luth et le langoureux tambourin aussi,

Le rebeb pleure les fugitifs instants,

Tout en philosophant sur le cours du temps.

Ils ravivent ma flamme, la quintessencient,

Pour que je cueille le jour et la volupté

De ce temps qui court sans jamais s’arrêter.

"القسم الخامس"

فالو طادرت لسـاسي   خود يا حفاضي حولا صول بها وستفخــــر

صيغ قول الجوساسي   يالداعي هاذا الحولا دارها من لا ينكــــــر

بالمعاني تجنــاسي   سلطنيا هذي سميتها ومولاها يهضـــــــر

رقتي من تكيــاسي   بن سليمان أسمي للجاحدين ضربي فالمنحـــر

درت فيدي مد عاسي   دون سيفي وركبت على جواد فايق على البجــر

حورنسلوقرطــاسي   ساحب الخطوا قرّاب البعيد ويفتت الحجــــر

هبت بالورد ويـاسي   والسلام على ناسو والجحيد خلّيه مكـــــذّار

يالعاتق لنفـــاسي   جيرني من هول الدنيا وبعدها هول المحشـــر

 

Ici, humblement, je me suis fixé assis,

O chantre! Apprécie donc cette ode,

Rapporte là, elle est bien une émeraude.

Va et dis à ceux qui sont encore indécis,

Que cette composition est certes l’œuvre

D’un homme honnête et toujours à pied d’œuvre.

Il se plait dans la métaphore et l’apprécie,

C’est pourquoi cette ode est royale, je le dis,

Et son auteur sera bien un jour applaudi

Tu sembles goûter ma rime…Mais si! Mais si!

Qu’on sache que Benslimane est mon patronyme,

Et que mes détracteurs auront ma foudre en prime.

La bonté est mon apanage, elle m’adoucit,

Je me pare de mon sabre et monte à cheval,

Destrier fougueux pétulant et triomphal.

Oui, j’ai prépare l’artillerie que voici,

Et quiconque s’avisera de s’approcher,

Verra de son corps les lambeaux détachés.

Au parfum des fleurs et du thym j’associe,

Mon salut aux hommes de foi et de science,

Que les ignares restent dans l’insouciance!

Seigneur, tu es le Sauveur, la suprématie,

Epargne-nous les tristes méfaits de ce monde,

Soulage nos tombes des ténèbres profondes.

 

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Fouad Guessous

Publié dans Malhoun

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